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Résumé:
Paris (un an plus tôt)
À propos de Gray et du voyage qui devait, en dernier
lieu, le lancer à la poursuite de la collection, on
dispose de quelques informations. De son arrivée en France
on sait peu de chose. On parla de mise en scène, d'arnaque
et d'assurance ; on parla d'un nouveau visage et d'un faux nom
; mais l'accident avait bien eu lieu (siège du mort ;
freins ; flammes) et dès qu'il le put, Gray partit
découvrir le monde par la grâce des versements
compensatoires. En réalité il était bien moins
mystérieux qu'on ne l'aurait cru ; les gens autour de lui
avaient beaucoup d'imagination, ou s'ennuyaient. Avant
d'arriver sur l'ancien continent il n'avait pour ainsi dire pas
vécu. Il était jeune et se croyait cynique. Il fut un
temps portier au Louvre. En raison d'une triste histoire
(non-dits et mauvaise foi) il parvint à s'aliéner la
direction, dans un laps de temps si bref qu'il força le
respect. Ensuite, on l'oublia.
Jakuta Alikavazovic propose, avec la Blonde et le bunker, un
roman où l'écriture joue avec sa propre disparition.
Un roman virtuose où l'amour et l'art brouillent les
pistes...
Quel rapport y a-t-il entre une collection d'art
introuvable, la photo culte d'un écrivain dans Time
Magazine et un couple qui ne s'aime plus ? Aucun - sinon un
même principe d'absence, un jeu de cache-cache avec la
mort, l'effacement. La disparition était déjà le
fil rouge du précédent roman de Jakuta Alikavazovic,
Le Londres-Louxor, l'histoire de deux soeurs dont
l'aînée s'est volatilisée. La Blonde et le
Bunker soupèse le «paraître» et le
«disparaître», évalue les chances d'une
oeuvre d'art d'être immortelle, d'un amour de durer...
Dans l'univers de Jakuta Alikavazovic, les blondes ont " le
gène du film noir " : elles condamnent ceux qui les
approchent à ne plus " s'exprimer que par clichés,
déjà-vus, redoublements. On n'a plus rien à
dire. On se réveille enfermé dans une structure
préexistante, un scénario peuplé de figures qui
se répètent. (...) Tout est menaçant et
peut-être trompeur. " Dans cette prise de pouvoir qu'elles
opèrent sur l'imaginaire et sur la langue, le roman trouve
sa matière, et l'écriture, le moteur de son
désir. Entre vaudeville, polar et OLNI (objet
littéraire non identifié), La Blonde et le bunker,
son troisième roman, revisite avec élégance et
malice la fascination qu'exerce la femme fatale.
L'écrivain se confronte aux mythes et aux archétypes
pour affirmer la singularité de son style, sans lever tout
à fait le mystère. (Florence Bouchy - Le Monde du 13
septembre 2012 )
Très cinéphile, Jakuta Alikavazovic communique son
amour charnel pour la pellicule, de film ou de photo, support
à date de péremption dangereusement proche. Alors, la
lecture se transforme en expérience limite. Peu à
peu, le papier des pages se gaufre sous les doigts, et l'encre
du livre devient tatouage. (Marine Landrot - Télérama
du 10 octobre 2012 )
La Blonde et le Bunker est une histoire d'embrasement et de
consomption, d'asphyxie et de conservation, où il semble
en aller des oeuvres d'art à travers les siècles
comme des sentiments : paradoxaux, volatiles et éternels,
gouvernés par le besoin de croire. On retrouve ici le
goût de la fantaisie de l'auteur de Londres-Louxor
(L'Olivier 2010), multipliant les cachettes à
l'intérieur de son livre, traçant des lignes entre
les villes comme on épingle des fils sur une carte,
sextant littéraire en main. Les apparitions succèdent
aux disparitions, et les incises entre parenthèses
viennent semer le doute, colorer de nuances et d'humour
délicat. (Sabine Audrerie - La Croix du 10 octobre 2012
)Extrait
Il hésita à quitter la capitale et, pour finir,
chercha refuge au Centre Pompidou : point de ralliement
officieux où se perdaient les pas de toute une population
subtilement parasite. Étudiants étrangers,
intellectuels précaires qui, sans relever dans les faits
de la charité publique, venaient s'abriter au sein de
l'institution. Beaubourg était bien chauffé. Les
toilettes étaient propres. On pouvait lire dans la
librairie (debout), flâner dans la boutique (lascif) ; une
fois acquittés les frais, somme toute modiques,
d'abonnement, on pouvait aussi se perdre dans les étages,
les collections permanentes, toujours étrangement
désertes. Plus intéressant encore, on pouvait
s'exiler dans les marges, à la lisière de l'art et de
la ville. C'est ce que Gray préférait : l'espace
entre les cloisons des salles et les baies vitrées, cet
espace périphérique au coeur même de Paris.
C'est là, dans cette frange, dans ce corridor secret,
qu'il préférait se cacher. Mais ce n'est pas là
qu'elle le trouva. Plus tard, il mentirait toujours,
systématiquement et par principe, sur leur rencontre.
Il la croisa plusieurs fois. Un jour, il la suivit. Elle
portait du blanc, ses cheveux étaient blond platine,
vaporeux, un nom venait à l'esprit évidemment, qu'il
est interdit d'évoquer (peur panique de la facilité).
Elle était là comme chez elle. Elle le baisa dans les
toilettes, sous les néons, dans une lumière qui ne
pardonnait rien ; il se dit par la suite qu'il ne la vit jamais
d'aussi près. Elle était appuyée sur le plan
d'eau, lui debout entre ses jambes. Ils se parlèrent plus
tard, pour le moment il s'efforçait d'éviter son
propre reflet. Elle, qui tournait le dos au miroir (hasard,
prudence ou préméditation), était
entièrement dans l'instant ; lui en revanche ne pouvait se
séparer de lui-même qui se regardait faire. Il ne se
reconnaissait pas, il lui semblait qu'ils étaient trois,
il eut du mal à jouir. Ensuite il s'inquiéta de
savoir si la scène avait été filmée. Elle
s'appelait Anna. Elle savait tant de choses dont elle ne lui
dit rien ; pas un mot.Revue de presse
Jouant avec virtuosité cette partition, Jakuta
Alikavazovic va nous conduire dans une intrigue complexe,
où mots, oeuvres et actes, interchangeables, se codent et
se décodent mutuellement. Où l'émotion, toujours
refoulée, ne cesse de sourdre des jointures de cette
machinerie textuelle. Est-ce pour cette raison qu'on a du mal
à quitter ce labyrinthe dans lequel on se perd avec
délectation ? (Alain Nicolas - L'Humanité du
23 août 2012 )
Au final, La Blonde et le Bunker déroute, enchante et
intrigue par sa totale liberté, son indifférence
souveraine à nous laisser choir parfois sur le carreau. On
chérit un grand nombre de phrases, on en relit certaines,
pour être sûr de bien comprendre. Reste qu'à 32
ans, Jakuta Alikavazovic s'impose en franc-tireuse du paysage
littéraire français avec ce troisième roman
parmi les plus audacieux et emballants de cette rentrée.
(Emily Barnett - Les Inrocks, septembre 2012 )