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Résumé:
« Le “connais-toi toi-même” (
gnôthi seauton), du
fronton delphique, ne signifie nullement
l’introspection égocentrée. Bien au
contraire, il est immédiatement ouvert dans la
mesure où il fait de l’autre — de
l’autre âme — la condition de
l’autonomie de la première. “Connais tes
limites” semble dire l’adage, connais
déjà l’ampleur de ton manque
puisqu’il s’agit de reconnaître en
retour la place de l’autre dans ta quête
cognitive. Qui peut accueillir l’autre s’il
n’a déjà opéré cette
reconnaissance de la frontière qui le constitue
à la fois comme corps et comme âme ?
L’individu n’est pas tout-puissant. Il est
résolument fini. Il n’est que frontière,
ligne au-delà de laquelle il se fantasme, ligne
en-deçà de laquelle il se déçoit.
Alors porter le regard vers l’autre et
l’horizon du monde l’aide à ne pas
sombrer dans le miroir de son âme.
“Connais-toi toi-même”, c’est
déjà savoir que je ne pourrais pas être
seul sur le chemin de ce savoir. »
Nous
ne sommes pas remplaçables. L’État de droit
n’est rien sans l’irremplaçabilité des
individus. L’individu, si décrié, s’est
souvent vu défini comme le responsable de
l’atomisation de la chose publique, comme le
contempteur des valeurs et des principes de l’État
de droit. Pourtant, la démocratie n’est rien sans
le maintien des sujets libres, rien sans l’engagement
des individus, sans leur détermination à
protéger sa durabilité. Ce n’est pas la
normalisation – ni les individus piégés par
elle – qui protège la démocratie. La
protéger, en avoir déjà le désir et
l’exigence, suppose que la notion d’individuation
– et non d’individualisme – soit
réinvestie par les individus. «Avoir le
souci de l’État
de droit, comme l’on a le souci de soi», est un
enjeu tout aussi philosophique que politique. Dans un monde
social où la passion pour le pouvoir prévaut
comme s’il était l’autre nom du Réel,
le défi d’une consolidation démocratique
nous invite à dépasser la religion continuée
qu’il demeure.
Après
Les pathologies de la
démocratie et La fin du courage, Cynthia Fleury
poursuit sa réflexion sur
l’irremplaçabilité de l’individu dans
la régulation démocratique. Au croisement de la
psychanalyse et de la philosophie politique, Les
irremplaçables
est un texte remarquable et plus que jamais
nécessaire pour nous aider à penser les
dysfonctionnements de la psyché individuelle et
collective.